Bercy souhaite intégrer le régime fiscal des « bénéfices non commerciaux » auquel sont soumises les professions libérales dans celui des « bénéfices industriels et commerciaux » des commerçants et artisans. Quelles pourraient être les conséquences pour les médecins de cet important changement ?
Au fil des ans, les régimes fiscaux des travailleurs indépendants sont devenus de plus en plus nombreux, leurs modalités d'application se sont multipliées, ce qui complique énormément le travail de l'administration fiscale (et celui des experts-comptables) sans raison bien précise et entraîne un contentieux totalement inutile. Et ce, au moment où le nombre de fonctionnaires doit diminuer.
Le ministère du budget a donc envisagé de simplifier les différents régimes, notamment en intégrant le régime des BNC « bénéfices non commerciaux » dans un régime unique proche de celui des BIC « bénéfices industriels et commerciaux ».
Des réunions de travail ont eu lieu entre la Direction de la législation fiscale et une commission de concertation des professions libérales jusqu'à ce que le Ministère de l'Economie décide unilatéralement d'inscrire le projet de texte dans la loi de finance rectificative pour 2011. Avant de faire marche arrière devant les réactions des organismes professionnels. Mais l'idée n'est pas abandonnée pour autant et on peut s'attendre à ce que cette réforme figure dans le projet de loi de finances pour 2012 ou dans la grande réforme de la fiscalité promise pour juin 2011. ( voir le Quotidien du 25 octobre)
En fonction des recettes
Les conséquences de ce changement pour les médecins varieraient selon le montant de leurs recettes.
Pour les contribuables susceptibles d'être soumis au régime du "micro" BNC, c'est-à -dire ceux dont les recettes sont inférieures à 32 100 euros, peu de changement. La seule obligation comptable consiste dans la tenue d'un livre journal des recettes, ce qui serait certainement maintenu.
En revanche, il faudrait choisir un nouveau montant pour l'abattement forfaitaire pour les frais professionnels. Il est en effet actuellement de 34 % pour le "micro" BNC et de 50 % pour le "micro" BIC.
Au-delà de 32 100 euros de recettes, les conséquences seront plus importantes. Les BIC doivent en effet tenir une comptabilité commerciale et faire chaque année un bilan. Mais fort heureusement avec des exceptions notables.
En-dessous de 231 000 euros de recettes, les BIC sont soumis au régime du « réel simplifié » mais ils ont la possibilité de tenir une comptabilité « super simplifiée » : il s'agit d'une comptabilité de trésorerie, comme celle que tiennent actuellement les BNC, à laquelle on ajoute les créances et les dettes constatées au 31 décembre de l'année considérée. La seule obligation supplémentaire par rapport à la comptabilité BNC est donc de comptabiliser les recettes non encore encaissées au 31 décembre (par exemple, les honoraires des cliniques) ainsi que les factures reçues mais pas encore réglées à cette même date. Ce qui n'est pas très compliqué, comme on le voit.
Au-dessus de 231 000 euros de recettes, on passe dans le régime du « réel » et, cette fois, il faut obligatoirement tenir une comptabilité commerciale, plus complexe, qui nécessite en pratique l'intervention d'un comptable. D'autant qu'à partir de 54 000 euros de recettes, il faut établir un « bilan », bilan simplifié dans le régime du réel simplifié, bilan normal dans le régime du réel. D'où une augmentation du coût de la tenue de comptabilité par votre expert-comptable si celui-ci vous faisait une comptabilité de trésorerie.
Mais pour Agnès Bricard, vice-présidente du Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables, « la majorité des médecins qui tiennent leur comptabilité pourront continuer à le faire en s'aidant d'un logiciel de comptabilité adapté et en suivant les conseils de leur AGA. »
Pour le reste, les obligations resteront à peu près les mêmes. Il faudra conserver ses pièces justificatives et les comptabiliser mais on abandonnera très certainement la « nomenclature comptable » du 30 janvier 1978 au profit du comptable de 1982. Il faudra faire un effort d'adaptation dans les premiers temps.
Qu'en sera-t-il des particularités des médecins conventionnés secteur I (déduction forfaitaire de 2 %, abattements du groupe III et de 3 %) ? Souhaitons qu'ils soient conservés et que l'administration ne les supprime pas au passage.
Cette réforme peut-elle avoir des avantages ?
La comptabilité commerciale donne beaucoup plus de renseignements sur la marche de l'entreprise qu'une simple comptabilité de trésorerie. On calcule en effet chaque 31 décembre toutes les dettes du cabinet (dettes fiscales, charges sociales, fournisseurs, banque, etc.) ainsi que toutes les recettes que l'on n'a pas encore encaissées. On a donc une image précise de sa situation financière, ce qui est d'un grand intérêt surtout en cas de diminution des recettes. Quant au bilan, il dresse l'état de son patrimoine professionnel, renseignement que l'on ne peut obtenir avec les simples obligations BNC.
Autre avantage que l'on peut trouver à ce rapprochement avec les BIC : la notion de « charge déductible » (pour les BIC) est plus large que celle de « dépense déductible » (pour les BNC).
La « dépense » dans le régime BNC doit être « nécessitée par l'exercice de la profession » alors qu'il suffit à la « charge » des BIC d'être faite « dans l'intérêt de l'entreprise » pour être déductible. Il est donc beaucoup plus facile de justifier la déduction des frais professionnels dans le régime BIC que dans le régime BNC.
Limites
Bien entendu, il ne s'agit dans tout ce qui précède que d'hypothèses, en l'absence de la connaissance des dispositions qui seront votées par le Parlement. Mais on voit que le point le plus important, quelles que soient les modalités finalement retenues, sera la fixation des limites d'application des différents régimes (micro, super simplifié, simplifié, réel). De leur hauteur dépendra l'impact des mesures prises sur la vie quotidienne des médecins qui sont déjà surchargés de taches administratives.
La comptabilité super simplifiée notamment doit pouvoir être utilisée par le plus grand nombre de praticiens et par conséquent, la limite de 231 000 euros doit être notoirement relevée. Il faut impérativement que cette réforme dont on peut comprendre l'utilité ne se traduise pas par une augmentation des contraintes comptables et fiscales des professions libérales ou bien du coût de la gestion de leur cabinet.
Ce qui serait en outre contraire aux projets actuels de la Commission européenne qui visent à inciter les Etats à alléger, voire à supprimer les obligations comptables des petites entreprises. Une directive devrait être prochainement publiée dans ce sens.
JACQUES GASTON - CARRERE
Le Quotidien du Médecin
Novembre 2010
Date de rédaction : 26 décembre 2010 12 h 16
Date de modification : 26 décembre 2010 12 h 16 min