Dans une tribune pour « Le Monde », plus de cinquante médecins et professeurs de médecine représentant les diverses spécialités médicales plaident pour une évolution du système de soins et proposent une série de mesures favorisant le décloisonnement entre médecins hospitaliers et professionnels libéraux.
Tribune. Le Covid-19 a renforcé les débats sur notre système de santé et son organisation. Depuis les ordonnances Debré de 1958 [créant notamment les centres hospitaliers universitaires], de nombreuses réformes se sont succédé cherchant à rationaliser l’offre de soins, à rendre plus cohérente la gouvernance hospitalière et à organiser la mise en œuvre des politiques de santé.
Dans toutes ces réformes persistent deux modes d’exercice qui ne sont pas incités à fonctionner en harmonie, et une forte centralisation qui est un frein à une organisation territoriale adaptée. Le moment est venu d’ouvrir un débat associant toutes les parties prenantes. Une caractéristique importante de notre système de santé est l’existence de deux secteurs d’exercice dont le fonctionnement, l’organisation, les motivations et la rémunération sont totalement différents, ce qui constitue probablement un obstacle à des réformes rapidement efficaces.
C’est notamment pour abattre les cloisons entre les secteurs d’exercice que s’est créée la Fédération des spécialités médicales (FSM) qui regroupe les Conseils nationaux professionnels (CNP) des 42 spécialités autres que la médecine générale, chaque CNP réunissant toutes les structures représentatives de la spécialité (sociétés savantes, collèges, syndicats et autres organismes) avec une gouvernance paritaire entre salariés et libéraux.
Au-delà de l’organisation et de la rémunération à l’hôpital
Les médecins, constituant un corps unique pendant leurs études, doivent choisir entre un exercice libéral ou un exercice salarié, qu’il est ensuite très difficile de quitter et qu’il est habituel d’opposer alors même que le métier clinique est le même. Or les deux systèmes rencontrent aujourd’hui des difficultés, et la fluidité entre les deux est loin d’être évidente. Tous font par ailleurs le constat, pour des quantités de travail équivalentes, de disparités de rémunération qui ne sont plus acceptables et entraînent une perte d’attractivité de certaines spécialités pourtant indispensables.
Est-il normal, comme en attestent les statistiques, que les revenus moyens de certaines spécialités soient plus de quatre fois, voire cinq, supérieurs à ceux d’autres spécialités ? De même, il est difficile d’expliquer à nos jeunes collègues qu’en restant à l’hôpital ils auront pendant plusieurs années un salaire médian de base un peu supérieur à 37 000 euros par an après quatorze ans d’études.
Il est difficile de leur annoncer qu’ils seront confrontés à des contraintes organisationnelles qui les découragent lorsqu’ils voient que leurs camarades d’études ont les mains plus libres dans le privé, même s’ils doivent faire face à des charges importantes qui pèsent sur leur revenu. Le Ségur de la santé a lancé la réflexion, mais il s’est essentiellement attaqué à l’organisation et aux rémunérations à l’hôpital, alors qu’il faut élargir la réflexion à l’ensemble du système.
Pour une plus grande liberté de choix de carrière
Cette situation ne correspond plus aux aspirations des jeunes médecins, qui ne veulent plus d’une carrière linéaire mais souhaitent s’investir davantage à certains moments dans un domaine particulier et dans une organisation des soins fondée sur des parcours. Une souplesse de statut et une plus grande liberté du médecin pour ses choix de carrière sont indispensables, et un certain nombre de propositions sont portées par les CNP :
– à activité équivalente, rémunération équivalente soit en salaire, soit en honoraires quels que soient le lieu et le mode d’exercice ;
– une rémunération plus équitable entre spécialités ;
– une meilleure prise en compte de la pénibilité, en particulier des gardes et des astreintes ;
– une rémunération davantage basée sur des indicateurs de résultats.
Les médecins doivent garder la main sur l’organisation des soins et leurs conditions de travail. Ils veulent s’investir dans la gestion et le management et peser dans les décisions. Ils veulent pouvoir dégager du temps pour ces fonctions grâce à un allègement de leurs charges administratives, sans cesse croissantes. La création d’une fonction de directeur médical aux côtés du directeur aurait un rôle structurant et ramènerait la médecine et le patient au cœur des priorités.
Plus sur la demande de soins d’un territoire donné
Comme l’a suggéré le rapport du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie sur la médecine spécialisée, il ne faut plus se baser sur l’offre de soins, mais plutôt sur la demande de soins d’un territoire donné, en privilégiant la notion de projet. Cela suppose que les médecins aient accès aux données de santé et aux résultats obtenus dans les territoires. Il s’agit d’un travail collaboratif qui doit associer les représentants des autres professions de santé et les associations de patients.
La création de groupements médicaux de territoire chargés de définir la stratégie à mettre en place, avec la capacité de la décliner en termes opérationnels, est une piste à évaluer, en associant les groupements hospitaliers de territoire (GHT) ainsi que les professionnels libéraux. Les indicateurs de qualité des soins doivent être revus et centrés sur les résultats et non, comme trop souvent, sur les processus.
Le recueil de multiples indicateurs administratifs est trop lourd, avec un impact sur la qualité des soins difficile à évaluer, et mal compris par les patients. Dans ce but, les registres pilotés par les CNP sont un outil simple et concret qui a montré son efficacité pour évaluer les pratiques, améliorer la qualité des prises en charge et permettre une comparaison des approches.
Plus de soixante ans après les ordonnances Debré, le moment est venu de donner une nouvelle impulsion à notre système de santé. L’Etat doit exprimer sa volonté d’agir sur un système dont il a la responsabilité. Une réflexion sereine des différents acteurs permettra d’élaborer un programme non violent d’évolution du système issu d’une analyse critique mais non radicale de l’état de choses actuel. Nous y sommes prêts !
Les signataires de cette tribune sont : Olivier Goëau-Brissonnière, chirurgien vasculaire, président de la Fédération des spécialités médicales (FSM) ; Isabelle Aimone-Gastin, présidente du CNP de biologie médicale ; Pierre Albaladejo, président du CNP d’anesthésie-réanimation et médecine périopératoire ; Laurence Augey, présidente du CNP de vigilance et thérapeutique transfusionnelles, tissulaires et cellulaires ; Isabelle Barillot, présidente du CNP d’oncologie ; Denys Barrault, président du CNP de médecine du sport ; Anne Bellut, dermatologue libérale, membre du bureau de la FSM ; Marie-Christine Béné, présidente du CNP d’hématologie ; Amine Benyamina, président du CNP d’addictologie ; Stéphane Boisgard, président du CNP de chirurgie orthopédique et traumatologique ; Anne Bourgarit-Durand, présidente du CNP de médecine interne ; Louis Boyer, président du CNP de radiologie et d’imagerie médicale ; Emmanuelle Cambau, présidente du CNP de biologie des agents infectieux-hygiène hospitalière ; Jacques Chevalier, président du CNP de chirurgie vasculaire et endovasculaire ; Robert Cohen, président du CNP de pédiatrie ; Florence Corgibet, présidente du CNP de dermatologie et de vénéréologie ; Vincent Darrouzet, président du CNP d’ORL et de chirurgie cervico-faciale ; Sabine Debuly, présidente du CNP de psychiatrie ; Jean-Dominique de Korwin, interniste hospitalier, membre du bureau de la FSM ; Francis Dujarric, stomatologue libéral, membre du bureau de la FSM ; Bertrand Dureuil, anesthésiste-réanimateur hospitalier, membre du bureau de la FSM ; Frédéric Fossati, cardiologue libéral, membre du bureau de la FSM ; Sophie Gromb-Monnoyeur, présidente du CNP de médecine légale et d’expertises médicales ; Laurent Guyot, président du CNP de chirurgie maxillo-faciale, stomatologie et chirurgie orale médicale ; Olivier Hamel, président du CNP de neurochirurgie ; Bernard Hédon, président du CNP de gynécologie obstétrique et gynécologie médicale ; Claude Jeandel, président du CNP de gériatrie ; Christine Jurus, présidente du CNP de médecine vasculaire ; Jean-Michel Klein, ORL libéral, membre du bureau de la FSM ; Thierry Lebret, membre du bureau de la FSM et président du CNP d’urologie ; Sébastien Lefevre, président du CNP d’allergologie ; Bernard Llagonne, chirurgien orthopédique et traumatologique libéral, membre du bureau de la FSM ; Philippe Marque, président du CNP de médecine physique et réadaptation ; Muriel Mathonnet, présidente du CNP de chirurgie viscérale et digestive ; Marie-Christine Maximin, présidente du CNP de chirurgie de l’enfant et de l’adolescent ; Virginie Migeot, présidente du CNP de santé publique ; Bruno Moulin, président du CNP de néphrologie ; Olivier Mundler, président du CNP de médecine nucléaire ; Philippe Orcel, rhumatologue hospitalier, membre du bureau de la FSM ; Dominique Pateron, président du CNP de médecine d’urgence ; Aleth Perdriger, présidente du CNP de rhumatologie ; Evelyne Planque, présidente du CNP de neurologie ; Marie-Laurence Poli-Mérol, chirurgienne de l’enfant et de l’adolescent ; membre du bureau de la FSM ; Jean Reignier, président du CNP de médecine intensive-réanimation ; Marc Revol, président du CNP de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique ; Pascal Schmidt, membre du bureau de la FSM et président du CNP d’endocrinologie, diabétologie et nutrition ; Nicolas Sevenet, président du CNP de génétique clinique, chromosomique et moléculaire ; Thomas Schouman, président du CNP d’orthopédie dento-faciale et orthopédie dento-maxillo-faciale ; Albert Sotto, président du CNP de maladies infectieuses et tropicales ; Pascal-Alexandre Thomas, membre du bureau de la FSM et président du CNP de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire ; Laurent Verzaux, radiologue libéral, membre du bureau de la FSM.
Date de rédaction : 16 avril 2022 7 h 49
Date de modification : 16 avril 2022 19 h 51 min